L’expérience de la maladie dispense-t-elle de l’éducation thérapeutique du patient (ETP) ?

Depuis le début du XXIe siècle, la notion d'éducation thérapeutique du patient (ETP) a pris un nouvel essor dans le parcours de prise en charge de maladie comme le diabète. Mais qu’est-ce que cela veut dire en 2020 ou pour demain ? À quels patients s’adresse-t-elle ? Est-ce toujours utile en dehors du diagnostic ? Le Dr Philip Böhme, service endocrinologie, diabétologie, nutrition, Centre Hospitalier Régional Universitaire de Nancy (CHRU Nancy), nous donne son avis sur le sujet.

L’expérience de la maladie dispense-t-elle de l’éducation thérapeutique du patient (ETP) ?

Qu’est-ce que l’éducation thérapeutique du patient (ETP) en 2020 ?

Dr Philip Böhme :

L'éducation thérapeutique du patient (ETP) est désormais unanimement reconnue comme étant l’un des piliers de la prise en charge de nombreuses maladies chroniques comme le diabète ou l’obésité. Son objectif premier est de permettre au patient de prendre part aux actions en faveur de sa santé. C’est-à-dire de jouer un rôle important dans la mise en œuvre des soins. L’ETP permet de renforcer la collaboration entre le ou les professionnels de santé concernés et le patient (et son entourage proche le cas échéant). Par son biais, le patient acquiert des connaissances pour mieux comprendre sa maladie et mobilise des compétences afin d’optimiser les auto-soins (ceux que le patient est capable de faire seul) et faire face aux difficultés. Le but est d’améliorer sa qualité de vie ainsi que le pronostic de la maladie.

Toutefois, si l’ETP s’est beaucoup généralisée, elle n’est pas forcément accessible à tous. Cela dépend de l’offre existante dans l’environnement du patient, mais aussi des compétences et de l’engagement des professionnels et des tutelles. De plus, les programmes sont soumis à un règlement assez strict et à un financement dont les modalités restent assez disparates, que ce soit en ville ou dans les établissements.[1]

Est-ce une méthode qui s’applique à tous ?

Dr Philip Böhme :

Oui, probablement, mais pas de manière uniforme ou standardisée. Cette démarche d’éducation se doit d’être avant tout personnalisée. Il faut bien comprendre que ces processus d’apprentissage ne se construisent pas sur un terrain « vierge » et sans expérience. Bien au contraire, chacun arrive avec son vécu, ses représentations mais aussi des connaissances déjà acquises et surtout une expérience de vie, directe ou indirecte, avec la maladie. Par exemple, pour les personnes vivant avec un diabète et traités à l’aide d’une insuline basale et de plusieurs insulines prandiales, l’ajustement des doses d’insuline rapides aux repas relève naturellement d’une démarche d’auto-apprentissage lié aux expériences culinaires du quotidien. C’est tout l’enjeu de l’insulinothérapie fonctionnelle.[2]

Le patient peut-il aisément être acteur de ce processus ?

Dr Philip Böhme :

Le terme « acteur » ne me paraît pas tout à fait adapté puisqu’en fin de compte le patient est forcément acteur de sa vie… Chaque individu a surtout sa propre liberté et sa responsabilité pour s’engager dans un tel processus. Il est le seul à pouvoir décider s’il choisit d’aller vers une certaine autonomie. Or, cela ne s’envisage que pas à pas, étape par étape, et c’est ce cheminement que l’on retrouve dans la démarche d’ETP. Pour que le patient puisse adhérer à cette démarche, il doit en comprendre les enjeux et les contenus. Les soignants doivent donc « comprendre l’incompréhension » [3]. Ils doivent aussi s’interroger sur la question du désir d’autonomie du patient. Tout au long de la chaîne de soins, ils doivent être attentifs aux comportements du patient et vérifier son degré d’adhésion et de motivation face à cette démarche d’apprentissage.

Un des moyens de renforcer l’engagement du patient est justement de s’appuyer sur son expérience. Et de faire le tri dans ses pratiques jugées « bonnes » et « moins bonnes ». Le repérage par l’expérience des effets secondaires des traitements hypoglycémiants, par exemple, justifie l’acquisition de connaissances mais aussi la capacité à gérer le stress et à exprimer ses émotions vis-à-vis de ces effets notoires [4]. Mentaliser ce type d’émotions contribue ainsi à construire les savoirs expérientiels (basé sur l’expérience). Il paraît enfin important d’accompagner et de soutenir les patients dans ces processus.

Justement, quelle est la place de l’expérience patient ?

Dr Philip Böhme :

Le vécu de la maladie amène le patient à constituer lui-même un ensemble de repères (comme des symptômes, des sensations) qui évoluent dans le continuum incertain de la maladie chronique. Certains de ces repères peuvent être source d’angoisse mais sont autant d’éléments utiles à l’apprentissage si le cadre relationnel apparaît optimal entre le patient et l’équipe soignante. Par exemple, les échanges entre patient et soignant concernant la définition et le vécu face aux hypoglycémies permettent probablement de corriger les quelques décalages de point de vue sur le sujet [5]. C’est un formidable exemple qui permet de souligner l’intérêt majeur de l’expérience patient et de la relation patient/soignant, ainsi que la place de la décision partagée et de l’ETP comme socles du passage de l’expérience à l’expertise patient.

L’expérience patient constitue vraisemblablement un préalable important et un support utile à l’ETP. Elle nécessite d’être identifiée, comprise et acceptée, dans le cadre d’une approche comme une sorte de partenariat de soin entre le patient et les professionnels.[6]


Sources :

Dr Philip Böhme, service endocrinologie, diabétologie, nutrition, Centre Hospitalier Régional Universitaire de Nancy (CHRU Nancy), Nancy.

[1] K. Legrand, MMM, 2013.

[2] J Ruiz. Rev Med Suisse. 2011

[3] P. Dupuis, Education Santé, 2015

[4] N. Genre, Rev Med Suisse, 2017

[5] P. Böhme, Diabetes Metabol, 2012

[6] O. Halabi. Patient Educ Couns 2020

Les informations et outils mis à votre disposition par Dinno Santé, le sont à titre informatif. Ils ne se substituent en aucun cas aux recommandations de votre professionnel de santé.